Nos médecins vont-ils devenir des data scientists ?
L’intelligence artificielle va-t-elle faire évoluer le rôle des médecins et les transformer en data scientists ? Comment intégrer la technologie dans un métier si profondément humain ? Réponses d’experts.
Une salle d’opération. Un médecin orthopédiste s’apprête à poser une prothèse de l’épaule à une patiente octogénaire. Avant de commencer, il enfile un casque de réalité mixte HoloLens et voit alors se superposer à sa patiente des modélisations 3D de ses appareils radiologiques ainsi que le descriptif de la procédure de pose de la prothèse. Science-fiction ? Non, la scène s’est déroulée le 5 décembre 2017 à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Le docteur Thomas Gregory a opéré en voyant ses capacités augmentées grâce à l’intelligence artificielle, puisque c’est elle qui rend possible la modélisation 3D ou encore la reconnaissance des caractères du casque HoloLens…
Si l’intelligence artificielle a fait son entrée à l’hôpital, c’est pour répondre à de grands enjeux : la personnalisation des soins, l’optimisation du temps de travail du personnel médical ou encore l’amélioration du rapport soignant-patient. Quelques exemples ? Nous pouvons par exemple citer le projet Inner Eye pour séquencer des images de radiologie et modéliser 3D d’une tumeur ou encore le projet Hannover pour personnaliser les traitements du cancer à l’aide du machine learning.
A l’occasion d’une émission filmée lors de Microsoft Experiences 18, le docteur Clément Goehrs, co-fondateur de Synapse Medicine, Jérôme Leleu, président d’Interaction Healthcare, une agence digitale dédiée au domaine de la santé et de SimForHealth, un centre innovant de formation médicale, et le docteur Cécile Monteil, médecin aux urgences pédiatriques de l’hôpital Robert Debré et directrice médicale du laboratoire universitaire iLumens, nous ont expliqué comment l’intelligence artificielle pourrait faire évoluer la pratique de la médecine.
La révolution IA dans la médecine
intelligence artificielle, avec le deep learning et les réseaux de neurones s’applique bien à la santé parce qu’elle est particulièrement performante pour traiter du texte et de l’image
La nouvelle vague de l’
Radio, IRM, rapports d’examen… L’IA, grâce au deep learning, permet de décrypter et analyser des corpus contenant des volumes de données colossaux en s’appuyant sur un réseau de neurones artificiels inspiré du cerveau humain. Le résultat ? Tout un panel d’outils de diagnostic et d’aide à la guérison.
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Pourtant, dans la pratique, l’utilisation de l’IA reste assez sommaire.
« L’IA est beaucoup utilisée dans le cercle de la recherche mais, finalement, peu de médecins ou d’infirmiers connaissent vraiment ses enjeux. Comment leur jeter la pierre alors qu’aucune formation n’est proposée ? » Cécile Monteil.
Si, aujourd’hui, nous sommes encore en période de test et que nous n’avons pas encore bien délimité le périmètre des opportunités de l’IA, dans quelques années, il faudra former les jeunes médecins. Ainsi, demain, pendant les études de médecine, un cours d’IA pourrait ainsi aider les futurs médecins à comprendre et appréhender l’intelligence artificielle, explique Cécile Monteil. « Nous pouvons comparer cela à la formation des pilotes, qui apprennent grâce à des simulations et volent avec des pilotes automatiques mais qui, en cas de problème, sont tout-à-fait capables de reprendre le contrôle », poursuit-elle.
Pour Jérôme Leleu , la pédagogie est aussi la clé pour ne pas tomber dans le fantasme anxiogène de la suppression des médecins : « de toutes façons, le patient n’a pas envie d’avoir une IA en face de lui, il veut un médecin qui le connait, qui a une réflexion une expérience et une vision transversale, et qui, éventuellement, peut s’appuyer sur l’intelligence artificielle. »
A quand le serment d’IAppocrate ?
« C’est aussi une question de générations. Il y a des médecins plus âgés qui n’ont pas forcément envie de changement », continue Cécile Monteil. Mais l’âge n’est pas le seul frein. Beaucoup de jeunes médecins ne connaissent pas ces technologies car ils n’ont pas été formés lors de leur cursus universitaire. « Et c’est dans cette situation que l’on peut se retrouver face à des réticences qui sont dues à de l’incompréhension. » La solution ? « Arrêter d’enseigner la médecine comme on le faisait il y a 60 ans ». Il ne faut pas oublier que le but de la médecine est de soigner au mieux les personnes, si cela doit se faire via la technologie, les médecins ne sont pas réfractaires : « dès qu’on leur en parle, ça se passe très bien ! »
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« Le risque ? Choisir un algorithme plutôt qu’un médecin »
L’IA est déjà une excellente diagnosticienne. D’ici 5 à 10 ans, les patients pourraient alors choisir, non plus leur praticien, mais le meilleur algorithme. « Demain, pour dépister un cancer de la peau, nous aurons peut-être le choix entre prendre une photo avec une application derrière laquelle il y a un algorithme super entraîné, ou aller voir un dermatologue », prédit Clément Goehrs. Dans ce contexte, à qui remettre sa confiance ?
Des propos que relativise néanmoins Cécile Monteil, qui compare cette situation avec l’arrivée d’internet et des sites comme Doctissimo. « La relation médecin-patient est sortie du modèle paternaliste, explique-t-elle. Quand un patient arrive avec des questions suite à ce qu’il a vu sur internet, pour le médecin, c’est l’opportunité d’entamer le dialogue en y répondant. Le patient est désormais pleinement impliqué dans sa prise en charge et devient un véritable partenaire. Ce nouveau modèle n’entache pas pour autant la confiance qu’accordent les patients à leurs médecins. »
Au final, même avec une médecine ultra technologisée, « les patients ne vont pas délaisser leur médecin du jour au lendemain, rassure Clément Goehrs. La médecine, ce n’est pas uniquement poser des diagnostics et prescrire des médicaments, c’est aussi une relation humaine. » Le mot de la fin est pour Cécile Monteil : « formons les médecins et les patients ! »
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