Adieu silicium, hello ordinateurs quantiques 2/3
Un mot sur l’auteur :
Senior Program Manager chez Microsoft, David Rousset est membre du team DX Corp TED, une division en charge de l’évangélisation et des relations avec les développeurs.
Il est également co-auteur de babylon.js and vorlon.js.
Cet article a été initialement publié sur son blog.
Suite du passionnant dossier de David Rousset consacré aux ordinateurs quantiques. Vous pouvez retrouver ici la première partie.
La loi de Moore est morte
Le transistor. Une des inventions les plus importantes du 20ème siècle. Le composant de base des processeurs. Pour augmenter la puissance de nos CPUs, on a d’abord eu l’idée d’augmenter à la fois leur nombre et la fréquence d’horloge les animant en cadence.
Gordon Moore, l’un des fondateurs d’Intel, a alors créé une sorte de règle, feuille de route pour l’industrie, prophétie auto-réalisatrice : la loi de Moore. L’idée est de doubler le nombre de transistors tous les 2 ans en les miniaturisant de plus en plus. De 1971 à aujourd’hui, nous sommes ainsi passés des 2300 transistors du premier microprocesseur d’Intel, le 4004, à des puces embarquant plusieurs milliards de transistors !
Cependant, comme l’explique très bien cet article (en Anglais) : Moore’s law really is dead this time, il y a eu plusieurs barrières qui furent particulièrement difficiles dans la course à la miniaturisation. En 2005 d’abord, autour des 90nm, on se posait sérieusement la question pour repousser les limites de la miniaturisation. Cela est d’ailleurs rappelé par cet article plus récent : Processeurs : la fin de la loi de Moore… et le début de l’incertitude qui indique la complexité rencontrée : « au début des années 2000, quand l’effet conjugué de la hausse des fréquences d’horloge et de la diminution de la taille des circuits avait fait bondir la chaleur générée par les circuits. Un obstacle que les industriels ont contourné en optant pour des architectures multicoeurs, qui ont mis fin à la course à l’augmentation des fréquences d’horloge ». Enfin, plus récemment, les 22nm ne furent envisageables que grâce à l’invention du transistor tri-gate.
Aujourd’hui, les CPU que vous achetez/utilisez dans vos PC, Mac et autres smartphones sont souvent gravés à une finesse de 14nm. Plus fort encore, le dernier Snapdragon 835 annoncé au CES 2017 arrive lui à être gravé en 10nm.
Pour vous donner une idée de la prouesse que cela représente, regardons les ordres de grandeur de longueur. On s’aperçoit ainsi que 1nm correspond à la taille d’une molécule ou du rayon de la double hélice de notre ADN. Plus surprenant encore, 10nm correspondent environ à 100 atomes mis les uns à côté des autres ! 100 atomes, vous imaginez !
Le palier des 10nm semble donc être le premier candidat sérieux à l’atteinte du mur de la miniaturisation. Cependant, les dernières recherches précisées dans cet article : le plus petit transistor du monde ressuscite la loi de Moore indiquent que des nanotubes de carbone pourraient nous permettre d’envisager d’aller plus loin, vers les 5nm peut-être. Malgré tout, à force de nous rapprocher de la taille critique d’un atome, nous allons finir par être confrontés au phénomène inéluctable d’effet tunnel illustré par cette vidéo :
Ainsi, 2020 semble être une échéance couramment partagée. Bien sûr, on pourrait se dire que ce n’est pas pour autant la fin du monde numérique. Voir même la fin du monde digital comme on aime le dire, à tort, dans les sphères branchées du marketing !
En effet, on pourrait envisager d’augmenter la taille des puces à défaut de pouvoir continuer à miniaturiser. Cela nous permettrait de continuer à augmenter le nombre de transistors. Ou alors augmenter le nombre de serveurs et leur capacité de calculs distribués. Oui, mais plusieurs problèmes pointent rapidement le bout de leur nez :
- L’évolution ne pourra certainement plus être exponentielle comme avant
- On va se retrouver confrontés à nouveau aux problèmes de consommation, dissipation de chaleur que nous avions eu au début des années 2000, qui furent résolus en partie avec les multi-cœurs.
On pourrait également se dire que cela va nous forcer à nouveau à bien penser nos codes et nos algorithmes. Comme il y a quelques dizaines d’années finalement, avant que nous codions un peu tous comme « des porcs », profitant avec une certaine insouciance de l’augmentation régulière de la puissance des processeurs afin de cacher notre fainéantise intellectuelle.
Malgré tout, cela ne va pas suffire à combler notre addiction vis-à-vis de la loi de Moore sur laquelle beaucoup comptent toujours. Tout cela malgré le mur atomique que le silicium est sur le point de rencontrer. En effet, l’IA a besoin de toujours plus et l’industrie ne se satisfera pas de cette contrainte physique.
La mécanique quantique à la rescousse
Arrivée à une échelle si petite, les règles changent et pas qu’un peu. En effet, il faut savoir que les lois de la physique classique, celle que nous connaissons bien et que nous subissons tous les jours, ne s’appliquent plus à partir d’une certaine échelle.
Nous ne savons toujours pas exactement pourquoi mais des éminents physiciens ont fini par le constater. Nous n’avons toujours pas non plus trouvé une règle générale permettant de réunir le monde tangible dans lequel nous nous sommes habitués à vivre avec le monde étrange qu’est celui des particules quantiques. Car oui, avant d’envisager de comprendre en quoi l’ordinateur quantique pourra continuer de faire vivre la loi de Moore, il va falloir tenter de comprendre un minimum le fonctionnement de la mécanique quantique.
Bon, déjà, commençons par tous nous détendre. Il est manifestement extrêmement compliqué de vulgariser la mécanique quantique. Il faut également s’ouvrir l’esprit et lutter contre nos barrières ancrées en nous depuis des siècles car les principes apparaissent comme totalement contre intuitifs pour l’esprit humain. Certains se demandent même si le cerveau humain ne serait tout simplement pas trop limité pour en comprendre le fonctionnement !
Pour vous rassurer, j’ai découvert en écoutant l’émission de radio « la tête au carré » de France Inter dédiée à l’ordinateur quantique que Pascale Senellart, directrice de recherche CNRS au laboratoire de photonique et nanostructure, nous raconte à 32’58 que: « quelqu’un qui vous dirait qu’il a vraiment compris la physique quantique, c’est quelqu’un qui ment un peu ». Par ailleurs, je me permets d’ajouter une citation célèbre de Richard Feynman : “Je pense pouvoir dire sans trop me tromper que personne ne comprend la mécanique quantique”. Les bases sont posées. Si les experts ont déjà du mal à comprendre, n’espérez pas prétendre à un PhD de physique quantique à la fin de cet article.
Bref ce que j’essaie de vous dire est qu’il est franchement difficile de trouver de bons articles expliquant simplement ce qu’est la mécanique quantique et que par conséquent je risque moi-même d’être approximatif. Malgré tout, j’ai essayé de vous digérer tout cela du mieux que j’ai pu et de vous partager les vidéos et articles qui m’ont semblés les mieux conçus et les plus pédagogiques.
Au passage, si un physicien spécialisé en physique quantique passe par là, il serait gentil de sortir son pif de son microscope à effet tunnel, de sortir de son labo et de venir essayer de nous aider à comprendre ce qu’il se passe de si chouette dans ce monde de l’infiniment petit.
D’ailleurs, avant de se lancer, commençons par prendre une petite pause comique en regardant cet excellentissime sketch d’Alexandre Astier : Alexandre Astier – La Physique Quantique parfaitement dans le ton de notre podcast.
8 principes clés
La meilleure source de vulgarisation que j’ai pu trouver sur la mécanique quantique est de loin celle de la Science Etonnante. De très loin même. Le travail effectué par David Louapre est tout à fait remarquable !
Du coup, la bonne nouvelle est que j’ai simplement besoin de vous partager son contenu. Il y a d’abord 2 vidéos à regarder.
La première explique la mécanique quantique en 7 idées :
Que vous devriez faire suivre immédiatement par celle expliquant l’intrication quantique :
Et pour couronner le tout, David a écrit un excellent billet de blog complétant sa première vidéo : La mécanique quantique où il détaille et illustre très bien les 7 idées exposées.
Au final, vous devriez alors avoir de vagues notions de ce que sont :
- Le principe de superposition : vous savez, le coup des plusieurs états en même temps.
- L’indéterminisme de la mesure : les mesures dépendent, en partie, du hasard !
- La réduction des états quantiques : l’indéterminisme est cassé après la première mesure. Le fait de mesurer force la particule à choisir son état. C’est bizarre mais c’est comme ça. Par contre, cela énerve passablement Meulta. Mais cela ne change rien au phénomène heureusement.
- La dualité onde – corpuscule : des objets que l’on croit ponctuel se comporte en fait comme des ondes. D’ailleurs la mécanique quantique fut longtemps appelée mécanique ondulatoire.
- L’effet tunnel : l’effet ondulatoire de la matière, qui lui permet, entre autres, de passer à travers un obstacle.
- La quantification des propriétés physiques : un électron ne peut être qu’à des orbites précises autour du noyau, certaines lui sont “interdites” ! Cela avait retourné la tête de Deltakosh dans notre épisode 4. ?
- Le principe d’incertitude de Heisenberg : on ne peut pas parfaitement définir un objet à la fois grâce à sa position ET sa vitesse. C’est un peu soit l’un, soit l’autre.
- Le spin et l’intrication quantique : le spin n’a que 2 valeurs possibles, le + ou le -… ainsi que toutes les superpositions de ces 2 états bien entendu. ? Plus surprenant encore, certaines particules sont liées. Cela veut dire que le changement d’état d’une particule va avoir une répercussion immédiate sur une autre pouvant se trouver à des kilomètres d’elle.
Bon, déjà, avec tout ça, je vous promets un méchant carton à votre prochaine soirée pour épater la galerie !
Pour revenir à la loi de Moore et aux processeurs actuels, le principal problème vient de l’effet tunnel. En effet, c’est l’effet qui va se produire avec la miniaturisation des transistors. Les électrons (le courant faisant les 0 et les 1 de notre bien aimé binaire) ne resteront plus dans le chemin que nous avons défini/dessiné. Ils passeront à travers les barrières que nous aurons fixées. Bref, un monumental bazar ingérable pour conserver la stabilité de la logique du processeur.
Alors, que faire? Vous le saurez… ici.