A quoi ressemblera le travail après la crise du Covid-19 ?
La crise sanitaire du Covid-19 a bouleversé la vie des entreprises. Face à cette situation inédite, elles ont dû s’adapter et changer radicalement leur organisation et leur management. Parmi tous les défis auxquels elles font face, celui du futur du travail pose de nombreuses questions. Le tout télétravail est-il la solution miracle ? Une entreprise sans bureaux est-elle viable ? Quelle forme prendra le travail de demain ?
Laëtitia Vitaud est auteure et conférencière sur le futur du travail et de la consommation. Présidente de Cadre Noir Ltd, entreprise spécialisée dans la recherche sur le futur du travail, et rédactrice en chef du média B2B de Welcome to the Jungle.
En quête de réponses, nous nous sommes entretenus avec Laëtitia Vitaud. Elle est auteure et conférencière sur le futur du travail et de la consommation. Elle a notamment publié 100 idées innovantes pour recruter des talents et les faire grandir chez Vuibert et lance un média intitulé Nouveau départ, un journal de la crise et de la transition en cours.
Avec la crise du Covid-19, les entreprises ont massivement eu recours au télétravail. Quels changements cette pratique entraîne-t-elle ?
Laëtitia Vitaud : Tout d’abord, le télétravail causé par le confinement est une version très particulière du télétravail. Ce dernier est imposé, touche l’ensemble des collaborateurs, représente 100% du temps de travail et ne peut se faire que chez soi. Au fil des semaines, j’ai constaté deux phases. La première fut celle de l’apprentissage. Nous avons essayé de reproduire ce que nous connaissions au bureau, avant de nous rendre compte que c’est impossible. Je pense notamment à la grande fatigue provoquée par les heures passées dans des réunions virtuelles. Vient ensuite la phase où nous avons découvert qu’il est possible de faire autrement. J’ai alors observé des rythmes de travail que j’appelle asynchrones, c’est-à-dire que les collaborateurs ne travaillaient pas nécessairement en même temps sur leurs projets. Ils ont réduit le temps de réunion. Les frontières entre vie professionnelle et personnelle devenant plus poreuses, il devient par exemple illusoire de vouloir répondre à toutes les sollicitations en temps réel. Ainsi, le poids des longs écrits ou la réalisation de feedbacks différés progressent, un peu comme si nous travaillons tous sur des fuseaux horaires différents.
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Au regard de ces premiers mois « d’expérimentation », de nouveaux risques apparaissent-ils ?
LV : Sur le télétravail en particulier, il existe des risques de crise dite de la cognition. On a pu l’observer d’ailleurs puisque des collaborateurs se sont dits épuisés pendant ces quelques semaines de confinement. Submergés par les informations, professionnelles comme personnelles, faire une pause devient impossible car les sas de décompression disparaissent, d’où la multiplication des cas de burn-outs et d’états de fatigue extrême. On a pu observer des retours à l’utilisation du téléphone ou au moins de la visioconférence sans l’image, qui représentait une contrainte à force. Cette charge mentale a principalement touché les femmes, accentuant les inégalités déjà à l’œuvre. En effet, les femmes prennent en charge la majorité des tâches concernant le foyer et les enfants. On leur a demandé d’être à la fois mère, enseignante et professionnelle… Les quelques semaines de confinement auront potentiellement creusé ce décalage de carrière entre les hommes et les femmes.
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Comment les entreprises peuvent-elles se prémunir de ces risques ?
LV : Elles devront faire évoluer leurs pratiques managériales, surtout si le télétravail devient le choix par défaut, comme PSA l’a d’ores et déjà annoncé. D’ailleurs, je vois de plus en plus de managers partager, commenter des publications d’entreprises qui sont particulièrement à la pointe sur le sujet. Je pense à des entreprises comme Gitlab, Buffer ou Basecamp, qui travaillent beaucoup à distance. Les managers publient régulièrement leurs expériences sur leurs blogs, mais n’étaient jusqu’alors suivis que dans un tout petit cercle d’initiés. C’est de moins en moins le cas. C’est le signe que la réflexion est amorcée. Ces entreprises devront se pencher sur des problématiques comme la création et le renforcement des liens sociaux entre les collaborateurs, par exemple avec la mise en place de cafés virtuels réguliers. Pour s’assurer de la bonne santé mentale des employés, notamment ceux qui sont isolés, des hotlines avec des psychologues ou des coachs devront également exister. Enfin, gérer des équipes distribuées nécessite un usage bien plus important des outils collaboratifs comme Microsoft Teams.
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Les entreprises de demain auront-elles toujours des bureaux ?
LV : Avec la crise économique et les difficultés financières de nombreuses organisations, les bureaux représentent un coût fixe parfois énorme. Ainsi, je vois déjà des start-ups s’en séparer et des grandes entreprises réfléchir à la variabilisation de ces coûts. C’est le choix qu’a fait le constructeur automobile PSA par exemple. On constate que ce qui était jusqu’à présent un phénomène très marginal pourrait se généraliser. Nous pourrions aller vers un modèle de bureaux à la demande qui seront utilisés pour réaliser des séminaires ou certaines tâches qui nécessitent un lien fort avec les autres. Dans leur livre, Remote : Office Not Required, Jason Fried et David Heinemeier-Hansson démontrent, à l’appui de leur entreprise Basecamp, que les bureaux sont loin d’être indispensables. Cela ouvre même des opportunités comme celle de recruter les meilleurs talents, qu’importe leur localisation dans le monde.
Comment garder le lien avec ses collègues quand on ne se voit pas ?
Attention, être une entreprise sans bureau ne veut pas dire qu’on ne se voit pas. Au contraire, les rituels et les rencontres sont très importants. Buffer par exemple, organise des retraites pour leurs équipes régulièrement. Ils disposent également de budgets importants pour les déplacements des collaborateurs. On peut développer une culture forte sans se voir au quotidien.
Quels impacts ces choix auront-ils sur la société ?
LV : Difficile à dire mais quelques grandes tendances sont à l’œuvre. La première concerne les travailleurs franciliens. 84% de ces derniers déclaraient vouloir quitter la région parisienne (chiffres Cadremploi) mais ne le faisaient pas pour des raisons essentiellement liées à leur carrière. Or, avec cette crise, nous pouvons imaginer une part de plus en plus importante de travailleurs s’installant en province. Ils pourront alors faire des allers-retours entre chez eux et la ville où se trouve les bureaux. Leur entreprise pourrait aussi leur louer un bureau dans un espace de coworking ou financer l’installation de matériel de travail à domicile. Des freins existent néanmoins. Avec une famille, il reste très difficile d’être nomade… à moins d’imaginer un système scolaire lui-même mixte, entre présentiel et numérique !
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