Pourquoi revenir au bureau ?
Nadine Yahchouchi dirige la division Modern Work pour Microsoft France afin de permettre à tous les clients, partenaires et organisations de réussir leurs transformations numériques du travail à distance et hybride.
Lors de la dernière édition de l’événement Viva Tech, j’ai eu le privilège d’échanger avec Francois Pitti, Directeur Prospectives et Marketing stratégique chez Bouygues Construction et Vasken Tokatlian, VP Partenariat et Alliances stratégiques Corporation chez Amadeus.
De nos conversations sur les tendances sociétales, économiques, professionnelles, une conclusion se dessine sans équivoque : grâce à l’adoption des outils numériques et du télétravail, nos locaux professionnels vont se muer doucement mais sûrement, et par la même occasion nos voyages professionnels.
Voici pourquoi.
1. Les dynamiques régionales et touristiques changent, les collaborateurs repensent leur cadre de travail
Plusieurs facteurs influent sur une nouvelle redistribution géographique des entreprises françaises. Tout d’abord, le plan du gouvernement sur le très haut débit (THD) devrait franchir un cap en 2022. Avec la continuité des plans de déploiement du TGV (par exemple le projet de ligne Bordeaux-Toulouse), les Français seront capables de travailler à distance et se déplacer vers Paris avec la même rapidité que s’ils vivaient en périphérie de la capitale, rendant viable un projet de vie en région. Les villes en profitent, et font leur publicité (comme ici à Alès) pour attirer les Franciliens en promouvant une qualité de vie supérieure. Par ailleurs, les salariés qui voient le télétravail s’ancrer dans leur routine repensent leur espace de travail à la maison, tant sur leur équipement numérique, la disposition de leur bureau (avec un arrière-plan plus « neutre » et moins personnel) et sur le choix d’une pièce insonorisée. Ces conditions poussent certains à déménager plus loin des centres urbains afin d’accéder à des superficies plus grandes pour le même prix. Enfin, au-delà de nos régions françaises, les sites touristiques comme les Canaris et des groupes hôteliers étendent leurs services à des offres de télétravail dans des sites idylliques (Venez télétravailler chez Pierre & Vacances). Le « business trip » se réinvente sur un axe nouveau : le voyage professionnel permet à présent de casser la monotonie du travail à la maison, afin que ce cadre éphémère redonne un élan au bien-être et à la productivité du collaborateur.
2. Les collaborateurs ne veulent plus aller au bureau sans raison
Après avoir gouté à la flexibilité du télétravail et pour certains s’être relocalisés, beaucoup de français sont moins enclin à aller au bureau sans y donner un sens, comme l’exprime justement Julia de Funes. Certains salariés veulent s’assurer d’y retrouver un lien social fort, et d’y vivre une «expérience», même si elle reste simple. Le voyage d’affaires se redéfinit ici aussi différemment: il ne s’agit plus de partir « ailleurs » car les salariés sont déjà ailleurs, mais au contraire de se retrouver au bureau, et de le vivre de manière plus intentionnelle. Dans ce contexte, la localisation (terrasse, vue), les aménagements intérieurs (salles de créativité, mobilier esthétique) et les services sur place (cantine gourmet comme Lecointre, douches pour les voyageurs, services hôteliers sur place) seront clés pour garantir une expérience unique, propre à attirer et retenir les talents. D’autres entreprises, qui ne s’imaginent pas investir dans leurs locaux, pourront tout simplement se séparer de leurs bureaux actuels, et réinvestir une partie dans des voyages d’équipes et d’entreprise plus fréquents: l’expérience du voyage d’affaire devient dans ce contexte une partie critique de la culture d’entreprise, qu’il faudra penser au delà du simple voyage. D’autres enfin, réimagineront leurs locaux conjointement avec leur écosystème (partenaires, clients, start-ups) afin d’apporter une finalité de rencontres à chaque déplacement au bureau.
3. Le marché du travail rebalance le pouvoir de négociation vers les top talents
Avec un besoin sur le marché plus fort en compétence numérique, en qualités humaines, en management à distance, et en agilité, les entreprises font notamment face à un déficit plus important de talents, comme par exemple en cybersécurité. Elles doivent donc être plus à l’écoute des demandes des salariés, qui souhaitent un plus grand mix entre présentiel et télétravail. Afin de rendre ce mix possible, une nouvelle organisation du travail hybride s’impose, et impacte les choix immobiliers à moyen terme et l’équipement numérique à court terme. Les aménagements des salles seront tout particulièrement clé pour faire dialoguer de manière fluide les populations en présentiel et celles à distance. On peut imaginer par exemple des salles de réunion revisitées, avec une moitié de la table de réunion occupée par des écrans, à l’image de ce que proposait notamment Orange depuis 2003. France Telecom (à l’époque) avait même installé deux couloirs « interactifs » à Lannion et à Issy-les-Moulineaux, où l’on pouvait dans le couloir saluer et parler à ses collègues à distance comme si l’on se croisait en « vrai ».
4. Les entreprises cherchent à optimiser leurs coûts immobiliers
L’incertitude économique que nous allons vivre sur les prochaines années remet en question le coût de l’immobilier pour les entreprises, lourd et peu flexible. Pour cette raison, certains font le choix de passer à 100% en télétravail, tandis que d’autres revoient leur modèle d’implémentation, centralisé ou décentralisé. Dans le modèle centralisé, les antennes locales sont délaissées au profit de localisation centrales et faciles d’accès, proches de hubs de transports ; l’offre d’espaces de travail est complétée par des tiers-lieux à proximité du domicile des collaborateurs. Dans ce cas, le siège peut devenir une vitrine de la culture d’entreprise. Le secteur hôtelier, qui cherchait depuis longtemps à optimiser son taux d’occupation diurne, réinvente une offre de travail à la demande (à l’image du groupe Accor), une disponibilité des salles de gym de l’hôtel en journée pour les salariés, et permet aux entreprises de transformer leur couts fixes en coûts variables, et adapté à leur demande. Dans le modèle décentralisé, l’entreprise laisse le choix aux collaborateurs de s’installer là où ils souhaitent, et elle déploie des antennes au plus près des régions plébiscitées par leurs salariés : métropoles régionales ou fronts de mer. Ces modèles permettent par ailleurs de repenser les offres de mobilité aux salariés comme le vélo, et d’améliorer leur bilan carbone tout en réduisant leurs coûts.
Le bureau de demain sera donc différent de celui d’aujourd’hui. Avec encore beaucoup d’inconnues, deux règles cruciales restent à appliquer dès maintenant. Tout d’abord, les modes de travail, les espaces de travail et les outils numériques doivent être pensés conjointement et alignés avec la stratégie de l’entreprise. Ensuite, la versatilité (plateaux reconfigurables) et la flexibilité (locaux disponibles à la demande) des lieux sont clé afin de s’adapter à des besoins évolutifs et moins prédictibles.
Vous ne connaissez pas encore notre web-série « Disponible » sur le travail hybride ? Découvrez les tous premiers pas de la comédienne Lucie Carbone dans sa nouvelle organisation dans le vrai monde réel après 9 mois de télétravail.