IA : demain, des artistes augmentés ?
L’intelligence artificielle peut-elle devenir compositrice ? Quelle place pour le musicien de demain ? André Manoukian, Philippe Guillaud et Pamela Hute répondent à nos questions.
A la base de la musique, il y a les mathématiques.
Pour André Manoukian, auteur-compositeur et cofondateur de Muzeek, les portées musicales sont des lignes de code, et le créateur de la musique serait… Pythagore ! A l’époque du philosophe, la musique était d’ailleurs enseignée au même titre que les mathématiques.
Pour le compositeur qu’est Manoukian, les rapports dans la gamme musicale sont des rapports que l’on trouve dans la nature. Mais alors, est-il possible pour une intelligence artificielle, qui, par définition, n’a rien de naturel, de concevoir ces rapports ? Écouterons-nous demain des albums créés par une IA ? André Manoukian, Philippe Guillaud, COO de Muzeek, une start-up qui utilise la puissance de l’intelligence artificielle et du cloud pour démultiplier les compositions musicales, et Pamela Hute, artiste, productrice et membre de la Guilde des artistes de la musique (GAM), nous expliquent comment les artistes peuvent s’aider de l’intelligence artificielle pour composer leur musique. Un débat filmé à l’occasion de Microsoft experiences 18.
Bach, créateur du premier algorithme musical ?
Si le mathématicien Pythagore était à l’origine de la musique, c’est Bach qui, selon André Manoukian, aurait le premier intégré des algorithmes à ses compositions : « Il a développé une petite cellule de 4 notes et puis il l’a transposée dans différentes gammes. L’algorithme musical était né. »
Plus récemment, Pamela Hute a fait appel à la technologie pour composer des morceaux de musique. Pour elle, la MAO (musique assistée par ordinateur) est même une libération. « Ce n’est pas évident de faire entrer une batterie dans un petit appartement parisien, explique-t-elle. Mais avec la MAO, j’ai accès à plein de choses. Dans ce contexte, la technologie est une alliée indispensable pour la création. »
Lire aussi Musique: l’intelligence artificielle et la puissance du cloud au service des compositeurs
Une IA compositrice ?
L’intelligence artificielle ne va cependant pas remplacer l’humain. Certes, l’IA augmente les possibilités du compositeur mais celui-ci garde la main sur la création musicale. « L’émotion est fondamentale dans la musique. Une musique générée à 100 % par ordinateur, c’est une sonnerie de téléphone », plaisante Philippe Guillaud.
Pour André Manoukian, l’intelligence artificielle ne fait que reproduire ce qu’on lui a montré : « on apprend à des machines à faire ce qui a été fait avant, et, aujourd’hui, la machine ne sait pas apporter son style. » Pour autant, l’auteur-compositeur est d’accord pour affirmer que la MAO décuple les possibilités et c’est avec ferveur qu’il affirme que « si Beethoven ou Mozart étaient ici, ils composeraient sans aucun doute avec un ordinateur ! »
L’humain indispensable à la musique, un aveu de faiblesse pour l’intelligence artificielle ? Une affirmation que réfute Pamela Hute : « il faut toujours envisager l’humain et l’IA ensemble, comme une équipe. On a toujours tendance à sacraliser la position de l’artiste. Mais la plupart du temps, il répond à des commandes où sa puissance créative et émotionnelle sont limitées. Dans ce cas, la technologie va l’aider à composer. »
Pamela Hute cite alors l’exemple d’Hello World, un album de François Pachet sorti en 2018. C’est le premier opus composé grâce à la collaboration entre l’humain et l’IA. Les artistes sollicités pour cet album, parmi lesquels Stromae ou Kiesza, ont pioché dans les mélodies, les harmonies et les voix générées par l’IA, préalablement nourrie de leurs morceaux préférés. Une prouesse technologique et une piste pour l’intégration de l’IA à la chaîne de création.
Lire aussi L’intelligence artificielle et la réalité mixte pour mettre en valeur le patrimoine
Plus de place pour la création
L’intelligence artificielle peut également permettre à un artiste de se débarrasser des tâches rébarbatives pour se consacrer davantage à la création. Par exemple, lors de la conception de musiques de films, le montage prend de longues heures et le moindre changement a posteriori peut s’avérer fastidieux pour le monteur. L’IA, elle, le fait en quelques minutes. La machine peut également rechercher automatiquement des sons correspondant à une ambiance, une activité de documentariste sonore, qui n’existe plus depuis bien longtemps dans l’industrie de la musique alors qu’elle allégeait pourtant l’emploi du temps des artistes.
Au final, la technologie seule n’apporte pas de grande valeur artistique actuellement mais on peut y mettre une intention ou un propos, conclut Pamela Hute. « C’est la responsabilité de l’artiste de se questionner et de savoir ce qu’il veut faire, ce qu’est son intention. » En fait, dans la musique comme dans bien d’autres secteurs, l’IA est un outil qui simplifie ou qui ouvre la voie vers de nouvelles possibilités mais qui ne remplacera en aucun cas l’humain.
___
Si les professionnels s’accordent pour dire que l’on est encore très loin de l’IA artiste et « porteuse d’intention », les avis divergent quant à son rôle actuel dans le processus de création.
Simple exécutrice ou génératrice de sons ? Facilitatrice qui accompagne le compositeur ? Faites-vous votre propre opinion en visionnant ce débat en intégralité :