Comment mettre en place un projet d’IA dans un établissement de santé ?
En santé, l’intelligence artificielle permet de mieux soigner, de mieux traiter et d’améliorer la satisfaction des patients. Loin d’être réservée à des experts, elle se démocratise et est aujourd’hui à la portée de tous les établissements.
Antoine Denis
Responsable du développement des marchés Santé et Affaires Sociales, Microsoft
Pourquoi mettre en place un projet d’IA dans un établissement de santé ? Quels bénéfices en attendre ? Quelles sont les bonnes pratiques dont il est possible de s’inspirer ? Antoine Denis, responsable du développement des marchés santé et affaires sociales chez Microsoft France, répond à nos questions et nous livre ses conseils pour déployer l’intelligence artificielle dans un hôpital, une clinique ou encore un centre de recherche.
On imagine souvent que, dans la santé, l’IA est plutôt dédiée à la recherche. C’est vrai ?
Non, pas du tout : tous les établissements de santé peuvent tirer parti de l’IA. En fait, on distingue trois grands types de bénéfices.
Le premier, c’est tout ce qui va être l’apport de l’IA dans le domaine de l’imagerie médicale pour aider au diagnostic et aider au traitement (radiomics). L’approche consiste ici à aider le praticien, pour qu’il soit plus précis et plus efficace : l’IA est en effet capable de détecter des signaux faibles, qu’un être humain ne pourra peut-être pas déceler au premier abord.
Le deuxième bénéfice sur lequel nous intervenons avec nos partenaires, c’est le fait de libérer du temps pour les professionnels de la sante ou les personnels administratifs. Le but recherché est de mieux planifier les ressources humaines et matérielles au sein d’un établissement.
« En moyenne, un professionnel de santé passe environ 30% de son temps à faire de l’administratif : l’IA permet de libérer une partie de ce temps. »
Nous travaillons par exemple avec les hospices civils de Lyon, le deuxième groupe hospitalier en France, sur un projet dont la finalité sera de pouvoir reconnaître une conversation entre un professionnel de santé et son patient. Nous avons une première IA qui retranscrit en texte une conversation orale.
C’est déjà bluffant, mais nous allons plus loin en essayant de comprendre la conversation qui a lieu entre le clinicien et son patient. L’IA « écoute » l’échange et hiérarchise les différentes informations. Le praticien valide ensuite ce que l’IA a compris de la conversation (pour éviter les erreurs d’interprétations) puis les informations validées vont alors automatiquement renseigner toutes les bases de données et documents afférents à l’échange entre le patient et le praticien : comptes-rendus, résumés… Pour le praticien, c’est une véritable aide au diagnostic, ainsi qu’un gain de temps conséquent.
Le troisième bénéfice, c’est une aide à l’élaboration de la santé personnalisé. Aujourd’hui, sur un bassin de population – qu’il s’agisse d’un Etat, d’une région ou d’une ville – on ne sait pas qui est malade, ni de quoi. On ne sait pas non plus réaliser de prévention en fonction des antécédents familiaux. L’IA permet de concrétiser une grande tendance en santé, celle de l’individualisation : en agrégeant une masse de données de santé colossale puis en analysant ces données, l’intelligence artificielle permet de segmenter différentes cohortes de patients par type de pathologies.
« Dans tous les cas, la question principale à se poser avant de mettre en place un projet d’IA est : est-ce que ça va rendre service aux patients ? »
Un exemple ? L’insuffisance rénale chronique est un problème de santé publique majeur, qui pourrait atteindre 36 millions d’Européens, avec des impacts importants sur leur qualité de vie. Et l’on pense qu’avec le vieillissement de la population, ce nombre pourrait encore augmenter. Avec un coût global des dialyses estimé à 15 milliards d’euros annuels, la prévention et la détection précoces sont des enjeux urgents.
Nous avons mis en place un dispositif de détection en Italie. Une simple prise de sang permet d’abord d’identifier l’existence d’un problème rénal. Ensuite, un système de machine learning permet de déterminer si cette condition est temporaire ou chronique afin de différencier les patients à risque de ceux déjà atteints et des personnes saines. Les médecins généralistes des personnes concernées ont alors pu être alertés sur la condition de leurs patients, de manière à pouvoir les prendre en charge à un stade précoce, réduisant ainsi les risques pour leur santé tout en diminuant le poids économique et organisationnel de la maladie sur le système de santé global.
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Mettre en place un projet d’IA, c’est compliqué ?
Cela dépend vraiment du type de projet visé ! Mais, de manière générale, il faut arrêter de penser que l’IA est un concept réservé aux experts : toutes les organisations, quelle que soit leur taille, peuvent bénéficier de l’apport de l’intelligence artificielle.
En fait, l’IA a plusieurs pans. Le premier consiste à essayer de reproduire les sens cognitifs de l’être humain : la vision, l’ouïe, le toucher… On peut par exemple imaginer une caméra augmentée grâce à des services cognitifs : placée dans une unité de réveil, elle pourrait détecter le moment où un patient ouvre les yeux et envoyer une alerte à un soignant pour le prévenir. Ce type de projet peut être rapidement mis en œuvre puisque nous n’avons pas besoin de données en amont ni de l’intervention d’un spécialiste de la data.
Le deuxième pan de l’IA, c’est le machine learning, qui, lui, requière de grands volumes de données, structurées ou non, ainsi que l’expertise d’un data scientist. Si l’on veut, par exemple, prédire la durée d’un séjour, nous aurons besoin des données des années précédentes : qui est venu, avec quelle pathologie, pour combien de temps… On peut même corréler ces données avec des éléments exogènes à l’établissement : la météo, par exemple. Nourrie de ces données, l’IA de machine learning va proposer des algorithmes et le data scientist pourra affiner le modèle qui, une fois entraîné, pourra prédire la durée de séjour dans l’hôpital.
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Le troisième pan de l’IA concerne des projets complexes, avec une approche de deep learning. Prenons l’exemple d’un oncologue qui segmente des tumeurs grâce à l’IA (c’est-à-dire qu’il les délimite, pour voir en 3D à quoi elles ressemblent dans le corps humain). Pour mettre en place un tel projet, il faut récupérer des images de PET scan (tomographie par émission de positons) et demander à un radio-oncologue de les catégoriser et de les annoter. Ces données sont ensuite fournies à la machine pour entraîner le modèle. Dans ce cas, il faut donc un data scientist (pour le côté algorithme) et un spécialiste métier : dans notre exemple le radio-oncologue, seul capable de dire ce qui est une tumeur et ce qui n’en est pas une.
Comment réussir le déploiement d’un projet d’IA ? Quels sont les facteurs clés de succès ?
On peut commencer par citer les facteurs de succès communs à tous les projets de déploiement technologique : la désignation d’un porteur de projet métier (un médecin, le directeur de l’offre de soin de l’hôpital, ou encore un ingénieur biomédical dans le cas de la médecine de prévision), le fait de s’inspirer d’exemples existants ou encore d’adopter un mode de travail itératif (plutôt que de se lancer dans un projet « big bang »).
Ensuite, la conduite du changement est particulièrement importante. Un projet d’IA peut avoir des conséquences non négligeables dans une organisation et dans le métier des différents professionnels qui vont utiliser cette solution. Le mieux, c’est donc de parler d’usages et de bénéfices plutôt que de technologies, et d’insister sur le fait que l’on va pouvoir mieux diagnostiquer, mieux traiter, être plus proche des patients. Reprenons l’exemple de notre oncologue : grâce à l’IA, segmenter une tumeur lui prendra une minute au lieu d’une demi-heure. Et, pour lui, peu importe qu’il s’agisse d’IA ou d’autre chose, l’intérêt, c’est d’économiser 29 minutes.
« La responsabilité des êtres humains qui entraînent l’IA est au-dessus de tout. Ils doivent le faire en tout éthique, en toute responsabilité et en suivant le cadre réglementaire »
L’autre point essentiel, c’est qu’il faut veiller à respecter l’éthique, et ça, c’est vraiment une règle d’or. Avec l’IA, tout ou presque est une question de données et d’entraînement du modèle à partir de ces données. Si l’on a de « mauvaises » données, on aura une mauvaise IA et on en fera un mauvais usage. Il est donc essentiel d’être le bon garant de la pertinence de la donnée.
C’est un sujet essentiel pour nous, chez Microsoft. D’ailleurs, en mars 2018, Harry Shum, vice-président exécutif de l’unité de recherche AI +, et Brad Smith, notre directeur juridique, ont créé un comité interne de l’IA et de l’éthique en ingénierie et en recherche (AETHER) pour s’assurer que tous nos efforts en matière d’IA sont entrepris de manière responsable.
« Les gens pensent que les IA ont besoin de données personnelles, mais c’est faux »
Enfin, il y a beaucoup de crainte autour de confidentialité et de la sécurité, les gens se demandent ce que l’on fait des données personnelles. Or, pour entraîner des modèles, nous n’avons pas besoin de données de santé personnelles, cela nécessite uniquement des constantes. Par ailleurs, quand l’on consomme de l’IA entraînée avec des données non personnelles, ces données restent dans l’établissement : l’IA est interrogée avec des constantes mais ne sait à aucun moment à qui elles appartiennent.
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