Tennis : L’IA monte au filet
Roger Federer aurait-il gagné son neuvième Wimbledon s’il avait attaqué sur le revers de Djokovic sa 2e balle de match lors de la finale 2019 ? Et que donnerait un match entre Rafael Nadal et Serena Williams ? Ou, encore plus fou, un match contre l’autre roi de la terre battue, Bjorn Borg ?
Alors que Roland Garros 2020 se débat – parfois difficilement – avec la météo de l’automne parisien, une équipe de chercheurs de l’Université de Stanford (Etats-Unis) a développé Vid2Player un programme qui simule de façon très réaliste des matchs de tennis impossibles. A partir d’analyse des vidéos du court central de Wimbledon durant les éditions 2018 et 2019, le programme a extrait des silhouettes des joueurs et joueuses, avant de classer tous les coups effectués. Puis, via un algorithme de simulation du jeu qui intègre par exemple les tactiques favorites des joueurs (« Federer préfère jouer sur le revers de Nadal », etc.), ce programme peut alors simuler une partie. A l’écran, si le rendu n’est pas à la hauteur des jeux vidéo les plus récents, le réalisme technique est bluffant.
Un modèle basé sur le deep learning
Haotian Zhang, co-créateur de ce programme explique « Nous avons utilisé des modèles existants exploitant le deep learning dans deux composantes de cette simulation : la détection et la découpe des images des joueurs à partir des vidéos. Pour recréer les parties des joueurs hors champs lors de la retransmission, nous avons utilisé pour cela des réseaux de neurones adverses génératifs » Le deep learning est un type d’intelligence artificielle mais dans lequel l’humain ne sélectionne pas les variables importantes à traiter, comme c’est le cas dans le machine learning. A l’inverse, la machine s’entraine seule à identifier les éléments saillants dans la tâche à effectuer. Ici, analyser les images d’un joueur dans une vidéo d’un match. « Sans deep learning, effectuer à la main ces opérations s’avérerait quasi impossible » complète Haotian Zhang
Lire aussi Tout savoir sur l’IA
Des joueurs « augmentés » ?
Les applications pourraient être nombreuses pour les sportifs. Nourri à la big data des matchs d’autres joueurs, ce programme pourrait par exemple aider les entraineurs à analyser finement leur jeu, anticiper les réactions des adversaires ou tester des scénarios particuliers sur lesquels travailler. Ce serait une étape supplémentaire dans l’étude des statistiques sportives initiée par exemple par Billy Beane pour le baseball dans les années 90 (et illustrée sur le grand écran par Brad Pitt dans le film Moneyball il y a quelques années).
Lire aussi [PODCASTS] L’intelligence artificielle à portée de tous
« Algorithme » ne rime pas avec « IA »
Pour autant, le comportement des joueurs dans ce programme n’est pas modélisé par un système d’intelligence artificielle comme on a pu le lire un peu partout mais un algorithme classique. « Tous les modèles d’IA sont basés sur des algorithmes, mais tous les algorithmes ne sont pas des modèles d’IA, souligne Sébastien Brasseur CTO Data & AI chez Microsoft, Une IA est capable de rendre une fonction normalement associée à l’intelligence humaine, comme le raisonnement, l’apprentissage ou l’auto amélioration. Ce que ne fait pas un algorithme écrit par un humain. »
Adjoindre à Vid2Player un vrai réseau de neurones de deep learning qui travaillerait sur l’immense quantité de data des statistiques disponibles dans le tennis pourrait révolutionner l’entrainement des joueurs « Il serait tout à fait possible avec le bon algorithme de développer une application basée sur l’IA qui modéliserait très précisément le jeu d’un adversaire pour y détecter ses points faibles, élaborer toute seule des tactiques gagnantes. Ou encore de l’opposer au modèle du joueur à entrainer et simuler ainsi le match à venir. Un vrai plus pour un entraineur et son joueur » raconte Anthony Kamar, responsable applicatif Azure chez Microsoft.
« Les statistiques sont là : on peut aujourd’hui connaitre la vitesse de chaque frappe de balle, mais aussi le placement, la hauteur, le % de réussite, etc. le tout en prenant en compte l’adversaire, la surface, le moment de jeu. Les statistiques sont fournies « brut » aux spectateurs et aux joueuses & joueurs, mais on a les datas et les technologies pour aller plus loin aujourd’hui » s’enthousiasme l’expert.
La vérité du terrain, plus fort que la data et l’IA
A vouloir l’améliorer, la data va-t-elle tuer le jeu ? Heureusement non, car la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain, et le sport, et surtout le tennis, ne se résume pas à une série d’équations ! Comme le disait Serena Williams « le tennis c’est avant tout du mental, tu peux gagner ou perdre le match avant même de rentrer sur le court ». La modélisation les émotions d’un joueur qui peuvent faire trembler le bras au pire moment n’étant pas pour demain, on n’a donc pas fini de vibrer autour d’un court !