Transformation numérique des PME : « Il y a une vraie réticence des dirigeants en région »
Où en sont les PME dans leur transformation digitale ? Quelle stratégie et quelles bonnes pratiques adopter lorsqu’on est une petite entreprise ? Lalée Pinoncély, fondatrice d’Adopte le digital, sillonne la France dans un drôle de bus pour rencontrer les PME et les aider à bien prendre le virage du numérique. Elle nous livre des conseils très concrets basés sur toutes ces très nombreuses expériences en régions.
De l’aveu même de sa fondatrice, Lalée Pinoncély, Adopte le digital a vocation à « dédramatiser le numérique » auprès de dirigeants de PME régionales, en leur apportant des réponses concrètes. Comment ? En les mettant en relation avec un réseau d’experts triés sur le volet : les adoptés. Son originalité ? Lalée Pinoncély part à la rencontre des entrepreneurs en bus, dans tous les coins de l’hexagone. Mais grâce à ses partenaires stratégiques dont fait partie Microsoft, l’expérience se prolongera bientôt en ligne.
Où en sont les PME en termes de transformation digitale ?
On entend souvent qu’il ne faut plus parler de transformation, parce qu’elle est faite, elle est engagée dans les entreprises, qu’il faut passer à la transformation suivante. C’est vrai pour les grandes entreprises, les ETI. Mais au niveau régional, qui est l’échelon sur lequel nous nous concentrons, j’ai pu remarquer que les PME n’étaient pas très avancées dans leur transformation numérique. Les PME sont les entreprises qui comptent entre 10 et 249 salariés, en dessous, ce sont des TPE. Elles représentent 99,8 % des entreprises en France et 49 % des emplois salariés. Les chefs d’entreprises sont très demandeurs d’explications et d’échanges sur l’apport du numérique pour leur business.
Comme le révèle une étude de BPI Le Lab réalisée en 2018, 72% des dirigeants de TPE/PME n’ont pas développé de vision quant à ce que devrait être la transformation digitale de leur entreprise. Et 33% pensent que le moment n’est pas venu pour eux de se lancer dedans…
Quelles sont leurs principales craintes ?
Davantage que des craintes, je dirais que les dirigeants de PME ont plutôt des doutes. Sur ce que le digital peut leur apporter, notamment : ils n’en voient pas les bénéfices concrets. Et c’est justement notre mission : leur démontrer les bénéfices concrets de petites actions très simples.
Il y a comme une réticence finalement, de ces dirigeants de PME régionales, ils ont l’impression que ce n’est pas pour eux. C’est notamment frappant lorsqu’Adopte le digital est allé à la rencontre de patrons dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie. Un dirigeant d’une entreprise qui réalise un chiffre d’affaires de 11 millions d’Euros m’a dit : « le numérique, c’est pour les grands groupes, c’est pour les ETI. Je suis décolleteur, moi, qu’est-ce que je pourrais bien des réseaux sociaux ou d’un objet connecté ? » Effectivement, Facebook n’est pas forcément l’outil qui lui apportera le plus de valeur. Mais par contre, je lui ai conseillé de faire appel à un outil digital imaginé et conçu par une start-up qui lui permet de voir depuis son bureau si une machine est sur le point de tomber en panne. Il a immédiatement vu l’intérêt, il s’est lancé, sans le savoir, dans sa transformation numérique grâce à la maintenance prédictive.
Mais ce complexe s’accompagne aussi d’un frein financier. Pour eux, c’est comme aller au garage quand on ne s’y connaît pas en mécanique et qu’on a peur de se faire avoir. C’est une crainte que je ressens très fortement lorsque j’échange avec les dirigeants sur le terrain. Je dois les rassurer, leur expliquer qu’ils n’ont pas besoin de se lancer tout de suite dans des investissements très importants. Il faut y aller pas à pas.
Comment les accompagnez-vous ?
Nous nous sommes organisés en tournée à Paris et en régions, en invitant les dirigeants à venir nous rencontrer pour nous exposer leurs besoins et leurs craintes. Le bus est vraiment notre élément de communication clé : grâce à notre bus, on se déplace concrètement sur le terrain. Or nous avons constaté après une année de terrain que cette cible avait beaucoup de difficulté à se déplacer car très sollicitée ou à l’emploi du temps complexe. Nous avons donc créé la plateforme digitale qui permet au bus physique de devenir virtuel. Cela permet aux dirigeants d’avoir accès à nos contenus, simple et pragmatiques, et à nos adoptés pour les accompagner en toute confiance. Le tout gratuitement, car on ne veut pas être un fardeau financier de plus !
Pendant nos sessions de sensibilisation nous leur exposons en premier lieu un paradoxe. 88% des Français se renseignent d’abord en ligne avant d’acheter un produit… Et pourtant, 87% des PME ne font pas du digital une priorité, comme l’indique l’étude précédemment citée de BPI Le Lab. C’est très pragmatique, à l’image des dirigeants que l’on accompagne.
Ensuite, nos sessions durent généralement deux heures, au cours desquelles on aborde très concrètement la question de la transformation digitale. Nous avons des vidéos très claires pour définir des termes, des cas d’usage par métiers et présenter des solutions, celles de nos adoptés, que j’ai identifiées et qui proposent des produits très pratiques pour les PME. Il y a par exemple Cashlab, une start-up qui a développé une solution destinée aux DAF. On a trop souvent séparé les mondes des PME et des start-up, alors qu’ils peuvent faire tellement de choses ensemble.
Je leur donne enfin des conseils en termes d’organisation. Par exemple : avoir un CRM, d’accord, mais si personne ne rentre des informations dedans, c’est un investissement qui ne sert à rien.
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Quelles sont les questions à se poser quand on est une PME qui veut se lancer dans le digital ?
Mon conseil, c’est d’abord de regarder ce qui se fait, de recueillir de l’information sur ce qui peut être très facilement et très rapidement mis en place. Ensuite, une fois qu’ils se sont familiarisés avec les différents sujets, ils peuvent se lancer dans un audit. Mais ce type de prestation peut être coûteux – et on a bien identifié que l’aspect financier était un frein !
L’autre conseil, c’est de bien cibler ses besoins. Chaque entreprise a ses particularités et peut utiliser le numérique pour des finalités différentes. Par exemple, une entreprise industrielle peut se lancer dans la maintenance prédictive, comme le décolleteur dont je parlais précédemment. Mais pour une esthéticienne comme celle que j’ai rencontrée à Rouen, l’essentiel est de se rendre visible sur Google.
L’un des besoins prioritaires des PME actuellement, c’est la mise en conformité avec le RGPD et la cybersécurité. Pour autant, sur ces sujets-là, je préfère clairement diriger les patrons vers un « adopté » expert. C’est là où est notre force : savoir identifier ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes et les accompagner là où ils en ont vraiment besoin, en leur proposant un catalogue de solutions. Nos adoptés sont triés et ont tous une charte à respecter. Ces dirigeants ont été déjà échaudés avec le milieu et ne veulent plus se tromper de prestataires.
Qu’est-ce que cela implique sur la culture d’entreprise ?
C’est le point le plus sensible. Les dirigeants que l’on rencontre sont sensibilisés à la démarche numérique, sinon, ils ne viendraient pas à nous ! Et c’est une bonne chose, car c’est justement à eux d’impulser la transformation digitale dans leur entreprise.
Ils devront comprendre également qu’il est important d’adopter un nouveau mindset dans sa manière de travailler. On passe en mode collaboratif et c’est quelque chose qui s’organise, qui s’anime. Si le dirigeant prend la décision, il doit savoir accompagner les collaborateurs dans ce changement, et surtout laisser le temps aux équipes de prendre en main les outils.
Quand on adopte des outils que l’on ne connaît pas, l’important est d’avoir confiance et de ne pas avoir peur de faire des erreurs. Parfois, le dirigeant doit accepter qu’il ne sait pas tout et faire confiance à une personne de son équipe qui connaît bien les réseaux sociaux par exemple.
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Avez-vous une belle histoire de transformation digitale à nous raconter ?
Il y a un imprimeur qui m’a marquée, il est venu à plusieurs de nos sessions, et me demandait à chaque fois « mais moi je suis un imprimeur, à quoi ça va bien me servir, Facebook ? Quels outils je peux adopter, en quoi cela va-t-il m’aider ? » Je l’ai recroisé quelques mois plus tard il s’était mis sur LinkedIn, et s’était construit une vraie communauté !
J’ai aussi l’exemple d’une centrale d’achat, QANTIS, qui s’adresse à une clientèle B2B et que nous avons accompagnée : son dirigeant a créé une plateforme digitale pour mettre en relation partenaires fournisseurs et ses adhérents, accessible sur mobile. Plus qu’une transformation numérique, c’est vraiment une transformation de business model qu’il a réussi à opérer, en seulement quelques mois.