8 idées reçues sur l’informatique quantique

Temps de lecture : 6 minutes

Elle ne verra jamais le jour, elle supplantera l’informatique classique, elle permettra de pirater les systèmes les plus sécurisés au monde… L’informatique quantique est le sujet de mille et un fantasmes. Pour démêler le vrai du faux, nous avons fait appel à Vivien Londe, ingénieur spécialisé dans le quantique chez Microsoft.

L’informatique quantique, c’est pour les geeks

Pas forcément. L’informatique quantique sera – ou plutôt est déjà – accessible à tout le monde, ou presque. Une grosse partie de la complexité du calcul quantique est gérée par des langages de programmation de haut niveau, comme Q# de Microsoft. Vous pouvez d’ailleurs d’ores et déjà vous essayer à la programmation quantique avec Q#, nous vous en disons plus dans cet article : Ordinateur quantique : où en est-on en 2020 ?

Le principe d’un langage de programmation de haut niveau, c’est qu’il est capable de piloter tout un tas de processus compliqués, comme le contrôle du hardware quantique ou les corrections d’erreurs. L’utilisateur n’a donc pas vraiment à se préoccuper de cette complexité, et peut se contenter de piocher des algorithmes dans une bibliothèque mise à sa disposition.

« Il faut quand même des connaissances en programmation classique et en programmation quantique, tempère Vivien Londe. Les premières applications de calcul quantique seront hybrides : une partie des calculs tourneront sur du hardware classique, et une autre partie sur du hardware quantique. Un ingénieur qui aura besoin d’une accélération quantique pour un projet devra donc maîtriser la programmation classique, et quelques bases de quantique. »

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Demain, nous aurons tous un ordinateur quantique sur notre bureau

C’est peu probable. Aujourd’hui, on envisage plutôt le quantique comme un service (quantum as a service), c’est-à-dire que les ordinateurs quantiques se trouveront dans les laboratoires ou dans les espaces dédiés d’entreprises spécialisées dans le hardware quantique, qu’il s’agisse de grosses boîtes techs, ou de nouveaux entrants. Ces ordinateurs seront accessibles par internet. Finalement, ça sera assez proche de ce que l’on pratique avec le cloud actuellement !

De quoi auront l’air ces ordinateurs quantiques ? « Ça dépend, nous répond Vivien Londe. Plusieurs types de constructions coexistent, et on ne sait pas encore qui dominera le marché. »

L’ordinateur quantique pourrait ainsi ressembler à un réfrigérateur. Mais pas à un simple réfrigérateur de cuisine ! « Certaines plateformes fonctionnent à des températures très basses, proches du zéro absolu, soit – 273,15 C. On a donc besoin de refroidir les composants dans un réfrigérateur à dilution d’environ 1 mètre de diamètre et 2 mètres de hauteur. »

À l’intérieur, une masse de câbles et surtout des qubits, les bits quantiques, qui sont eux minuscules : de l’ordre du micromètre ou du nanomètre. C’est la taille d’une bactérie, ou d’un brin d’ADN. Dans cet exemple, il pourra s’agir de qubits topologiques – la piste explorée par Microsoft, ou de qubits supraconducteurs ou à atomes froids.

Et si l’ordinateur quantique n’a pas un look de réfrigérateur, il prendra peut-être la forme d’une chambre à vide hébergeant des ions piégés par des champs magnétiques. Ou bien il ressemblera à un banc optique, équipé de miroirs et de polariseurs pour traiter des ions photoniques.

« Dans le cas du calcul classique, c’est le transistor qui a gagné, poursuit Vivien Londe. On peut donc imaginer que, dans le cas du calcul quantique, une seule forme l’emportera sur les autres, mais la réalité, c’est qu’on ne sait pas : c’est l’avenir qui nous le dira ! »

Avec le quantique, l’informatique classique deviendra obsolète.

Pas du tout. « L’informatique quantique va plutôt s’y ajouter, comme une couche supplémentaire, explique Vivien Londe. Il faut penser le processeur quantique comme un processeur spécialisé : on pourra lui déléguer des calculs qu’un processeur classique est incapable de traiter. »

Autrement dit, nos applications de bureautique tourneront toujours avec l’informatique que nous connaissons aujourd’hui !

En revanche, il pourra y avoir une compétition entre le quantique et le HPC (high-performance computing, un calcul intensif réalisé sur un supercalculateur) : « pour chaque application, on pourra se demander s’il est plus intéressant d’utiliser du quantique, du HPC ou les deux à la fois. »
Lire aussi Ordinateur quantique : où en est-on en 2020 ?

L’IA deviendra encore plus intelligente

Oui et non. Le quantique ne va pas nous faire basculer dans des scénarios à la Asimov, et donner une conscience aux intelligences artificielles.

Cependant, il va nous faire progresser sur le sujet. « Le quantum machine learning est un domaine de recherche très actif, précise Vivien Londe. Pour autant, il ne va pas remplacer les techniques que nous connaissons, il faut plutôt le voir comme une accélération. »

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Le quantique ne sera jamais fiable

Faux. Ce qui est vrai, c’est que nous ne savons pas encore quand nous atteindrons le moment où l’informatique quantique sera assez fiable pour un usage à l’échelle industrielle.

Aujourd’hui, les qubits présentent encore des taux d’erreur de calcul non négligeables. Ces erreurs apparaissent dès qu’un qubit interagit avec son environnement. C’est ce que l’on appelle la décohérence quantique.

Pour éliminer ces erreurs, il faudrait isoler les qubits et ça, c’est impossible puisque nous voulons justement les contrôler pour qu’ils réalisent les calculs dont nous avons besoin. Rappelons que les qubits peuvent prendre plusieurs formes : ions piégés, supraconducteurs ou topologiques, par exemple. Ces derniers sont d’ailleurs ceux qui produiraient le moins d’erreur, c’est pourquoi Microsoft privilégie cet axe de recherche.

Mais revenons à nos erreurs. Une des solutions à ce problème, c’est de créer des qubits logiques, par opposition aux qubits physiques qui sont ceux que nous avons évoqués précédemment. Ils sont une abstraction mathématique : ils sont créés à partir des qubits physiques. Concrètement, pour faire mille qubits logiques, on aura besoin d’une base d’un million de qubits physiques (par exemple). L’avantage de ces qubits logiques, c’est qu’ils produisent un taux d’erreur beaucoup plus faible que les physiques.

Et, si l’on peut affirmer aujourd’hui que le calcul quantique n’est pas un fantasme, c’est grâce au théorème dit « du Seuil ». Celui-ci nous permet de dire qu’à partir du moment où les qubits physiques auront un taux d’erreur en dessous d’un certain seuil, nous pourrons créer des qubits logiques qui ont un très faible taux d’erreur – le taux d’erreur dont nous avons besoin.

Voilà qui est très technique. Mais ce qu’il faut retenir de tout ça, c’est que plus nous ferons de progrès sur le hardware, plus nous aurons de ressources pour le calcul quantique… Et nous y sommes presque !

Avec le quantique, on pourra hacker n’importe quel système de sécurité

Cette idée reçue fait référence à l’algorithme de Shor. Celui-ci permet, à l’aide un ordinateur quantique et en quelques minutes, d’attaquer les systèmes de chiffrement à clés publiques que l’on utilise aujourd’hui. Cela veut effectivement dire que la cryptographie telle que nous la pratiquons aujourd’hui sera mise à mal par l’ordinateur quantique, ou en tout cas par les modèles dont nous disposerons dans 10 ou 20 ans.

Heureusement, nous avons déjà une solution. L’institut de standardisation américain, le NIST, et d’autres organismes, sont en train d’élaborer des technologies de cryptographie post-quantiques, c’est-à-dire résistantes aux attaques d’un ordinateur quantique.

Vous vous demandez peut-être comment l’informatique classique peut devancer l’informatique quantique avec des algorithmes post-quantiques ? Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’ordinateur quantique ne sera pas capable de résoudre tous les problèmes calculatoires. Aujourd’hui, la cryptographie s’appuie beaucoup sur la factorisation, que le quantique peut facilement résoudre. Il s’agit donc de trouver d’autres systèmes, impénétrables par le quantique.

« Les entreprises devront remplacer leurs systèmes de chiffrement actuels par des systèmes post-quantiques, indique Vivien Londe. Et, même si l’ordinateur quantique capable de mettre en place l’algorithme de Shor ne verra pas le jour avant 10 ou 20 ans, celles qui stockent des données qui seront encore confidentielles dans 10 ou 20 ans justement – des données de santé par exemple – ont intérêt à passer au post-quantique dès maintenant. Nous pouvons en effet tout à fait imaginer qu’un hacker stocke ces données aujourd’hui, pour les décrypter quand la technologie sera disponible. »

Suite à un appel du NIST, en 2017, Microsoft travaille sur quatre algorithmes post-quantiques : FrodoKEM et SIKE, des mécanismes post-quantiques d’échange de clé (Key Exchange Mechanism) et qTesla et Picnic, des mécanismes de signature numérique (Digital Signature).
Lire aussi Tout savoir sur l’intelligence artificielle

Le quantique, c’est comme les voitures volantes, ça ne verra jamais le jour

Mais non ! Et nous avons déjà des preuves très concrètes pour l’affirmer : nous les détaillons dans cet article. Déjà, des prototypes existent, et des entreprises les utilisent pour monter des projets d’inspiration quantique, pour rechercher de nouveaux matériaux, ou optimiser des problèmes complexes, comme de la gestion financière ou de la gestion de flux routiers.

Et le théorème du Seuil évoqué plus haut nous démontre que, même si nos qubits actuels connaissent encore des erreurs, nous pourrons prochainement concevoir un ordinateur quantique tolérant aux fautes.

« Je suis intimement convaincu que l’ordinateur quantique verra le jour, appuie Vivien Londe. Dans quelques années, nous disposerons d’un ordinateur quantique capable de passer à l’échelle et de résoudre des problèmes business ! »

L’informatique quantique va tout automatiser (bonjour Pôle emploi)

Pas du tout.

« Le calcul quantique ne va pas permettre de réaliser des tâches au détriment de quelqu’un d’autre, précise Vivien Londe. Il va plutôt faire éclore de nouveaux usages, permettre de trouver de nouveaux matériaux, de nouveaux médicaments… En fait, cela va créer des opportunités ! »

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