Informatique quantique : le pari fou de Microsoft
Un pari fou. C’est avec ces mots que Bernard Ourghanlian, directeur technique et sécurité de Microsoft France a retracé à l’occasion de Microsoft experiences’17 l’histoire de Microsoft sur le front de l’informatique quantique. Et pour cause : il y a 20 ans, Microsoft opte pour une approche fondée sur l’hypothèse de l’existence d’une particule qui ne sera vérifiée que… 12 ans plus tard. Un choix qui se concrétise aujourd’hui par plusieurs avancées bien concrètes. Explications.
Pour comprendre les enjeux – et le choix effectué – il faut rappeler que l’informatique quantique c’est d’abord de la physique quantique. Un monde dans lequel une particule peut être aussi une onde (c’est la fameuse dualité onde-particule), être dans deux endroits différents à la fois, ou bien encore prendre plusieurs chemins simultanément entre deux points dans l’espace.
En informatique quantique, deux comportements quantiques sont mis à contribution : la superposition et l’intrication.
> La superposition : avec elle, les atomes et les particules subatomiques peuvent exister simultanément dans plusieurs états et même plusieurs positions : c’est ce que l’on appelle la superposition d’états. Un objet classique comme une bille ne peut tourner que dans un sens à la fois, un électron peut en revanche tourner autour du noyau dans les deux sens à la fois.
> L’intrication : cette action unit deux particules par un lien instantané. Une action effectuée sur l’une affecte la seconde, même si elles sont très éloignées, y compris dans une autre galaxie.
Ce sont ces comportements qui vont donner à l’informatique quantique toute sa puissance. Les ordinateurs traditionnels représentent l’information sous forme de « bits » contenant uniquement des 1 et des 0. Les ordinateurs quantiques stockent, quant à eux, l’information de façon différente : ils utilisent des « quantum bits » ou « qubits ». La mécanique quantique permet de stocker dans des qubits des informations bien plus complexes que dans des bits classiques.
En effet, un bit classique se trouve toujours soit dans l’état 0, soit dans l’état 1. Mais un qubit peut, grâce à la superposition quantique, être soit dans l’état 0, soit dans l’état 1, mais aussi dans une superposition de 0 et de 1. Et cela ne constitue pas un troisième état, mais bien une infinité d’autres états…
Du déchainement quantique à la puissance quantique
Si un qubit est dans une quelconque superposition d’états, 2 qubits permettent de superposer 4 états pour le calcul (2 puissance 2), 10 qubits permettant de superposer 1024 états (2 puissance 10). Résultat, l’ordinateur quantique peut doubler sa puissance de calcul à chaque qubit ajouté, d’où un gain exponentiel de sa puissance, impossible à réaliser en informatique traditionnelle. Pour 250 qubits en interaction, il faudrait environ 10*80 bits classiques pour stocker l’équivalent d’informations ! C’est plus d’atomes qu’il n’y en a dans l’univers visible… C’est cela le déchainement quantique. Et ce déchainement permet de résoudre des problèmes vraiment difficiles. Encore faut-il relever plusieurs défis…
Le premier de ces défis tient à l’impossibilité du clonage quantique. En clair, on ne peut pas copier l’information au sein d’un ordinateur quantique sans l’altérer. Un sacrée contrainte… En effet, une particularité du qubit par rapport à un bit classique est qu’il ne peut être dupliqué. Pour le dupliquer, il faudrait pouvoir le lire, de sorte à préparer un autre qubit dans le même état ; or, il impossible de lire un qubit sans détruire définitivement son état. D’où cette impossibilité de le copier.
Comment programmer un tel ordinateur alors que l’on détruit l’état d’un qubit quand on le lit et que (2) l’on ne peut pas copier un qubit ? C’est l’enjeu de l’informatique quantique : concevoir des algorithmes, tels que toutes les propriétés de la superposition soient utilisées pour le calcul parallèle. Tout en s’assurant que le résultat ne soit pas aléatoire…
Autre défi : pour stabiliser l’environnement d’un ordinateur quantique, il faut opérer à la plus basse température possible sur terre : soit ‑273,13 C°. C’est tout de même 100 fois plus froid que le froid de l’univers profond…
À la recherche de l’insaisissable fermion de Majorana
Dans la pratique, l’ordinateur quantique est contrôlé par un ordinateur cryogénique qui opère dans un contexte de supraconductivité aux alentours de moins 269°C. L’ensemble est piloté par un ordinateur classique exécutant des algorithmes spécifiques. Une fusée en 3 étages en somme. Autant dire qu’un tel ordinateur quantique ne sera pas sur votre bureau demain matin.
Cet ordinateur abrite des puces quantiques. Elles ressemblent à des puces en silicium mais leur similitude s’arrête là. C’est dans ces puces que se trouvent les fermions.
Flashback : à la fin des années 2000, Michael Freedman (qui a été lauréat de la Médaille Fields 1986, l’équivalent du prix Nobel de mathématiques) et ses collègues de Microsoft Research démontrent que faire de l’informatique quantique au moyen d’une quasi-particule (pas mise au jour à l’époque) peut conduire à un changement de paradigme en matière de calcul. Ils appellent cette approche « informatique quantique topologique ». En 2004, après une meilleure compréhension du potentiel de l’informatique quantique topologique, Michael Freedman approche le patron de la R&D de Microsoft pour discuter informatique quantique. Et c’est ainsi que tout a commencé : par un pari fou reposant sur l’hypothèse de l’existence d’une particule que personne n’avait encore jamais vu.
En 2010, les chercheurs Microsoft montrent en théorie comment cette quasi-particule insaisissable que l’on nomme le « fermion de Majorana » peut être aperçue dans un laboratoire. C’est en 2012 qu’une étape expérimentale très importante est franchie : un des partenaires de recherche de Microsoft, Leo Kouwenhoven, construit cette expérience dans son laboratoire de Delft et devient le premier à détecter la preuve de l’existence de la quasi-particule Majorana. Depuis, de nombreuses autres preuves de l’existence de cette quasi-particule ont été données…
Mais pourquoi cette quasi-particule est-elle si précieuse ? Comme vu précédemment, un ordinateur quantique double sa puissance de calcul à chaque qubit ajouté, d’où un gain exponentiel de sa puissance. Mais avec deux fortes contraintes :
1) il est très difficile d’augmenter le nombre de qubits
2) de petites perturbations peuvent détruire tout l’ensemble : c’est le problème que l’on nomme « la décohérence quantique ».
Aujourd’hui, construire un ordinateur quantique revient à tenter d’empiler des petites pierres sur la plage : plus vous en empilez, plus l’ensemble devient instable…
L’approche topologique : prometteuse pour passer à l’échelle
Au vu de ces limitations, Microsoft a estimé que la voie la plus prometteuse pour passer à l’échelle consiste à développer un qubit plus stable, nommé « qubit topologique ». Et, de fait, un ordinateur quantique topologique permet à la fois de bénéficier d’une durée de vie 10 milliards de fois plus longue que les autres technologies mais aussi de nécessiter entre 1 000 et 10 000 fois moins de qubits physiques pour mettre en œuvre chaque qubit logique.
Mais une fois un tel ordinateur construit, encore faut-il le programmer… Microsoft, lors de la conférence Ignite qui se tenait fin septembre à Orlando a annoncé la mise à disposition prochaine d’un nouveau langage de programmation pour l’informatique quantique. Ce langage est intégré dans Visual Studio et comprend un simulateur d’ordinateur quantique qui fonctionne sur un poste de travail mais aussi sur le Cloud Azure en supportant jusqu’à 40 qubits, ce qui est unique au monde
Ce nouveau langage de programmation contient toutes les fonctionnalités nécessaires pour un développeur dans un environnement quantique et notamment, le traitement du cas de l’utilisation de qubits, de bits, la notion de « mesure » et les conditions de la mesure ainsi qu’un langage entièrement nouveau qui génère du code C#.
En résumé, Microsoft a présenté à Ignite le moyen de démocratiser l’informatique quantique comme il le fait avec l’IA. Les résultats d’un pari fou fait il y a 20 ans…